La psychanalyse de bistrot est un art que pratiquent autant les scénaristes hollywoodiens que les exégètes de leurs oeuvres. Voici un échafaudage interprétatif construit à partir de tout ce que je vous ai dit jusqu’à présent:
La démogorgone est le désir (le ça) transformé en monstre parce qu’il est manipulé par des forces sataniques (Brenner/Leary). Le monde upside-down (monde inversé), c’est l’inconscient empoisonné de El qui envahit le monde et qui l’avale en même temps. (L’inconscient empoisonné de El comme matrice du monde à venir.)
Ce n’est pas tout à fait une équation mathématique, mais c’est bien quelque chose de ce genre. Et comme le monde upside-down est une réalité et une métaphore absorbante (ou pénétrante), on pourra y glisser plein de choses que j’ai mentionnées au début du post 3.1, dont El, l’inconscient de la jeunesse, l’Amérique, le monde, etc… De même, la démogorgone est un « homme sans visage », car le désir et les pulsions sont indéterminés et peuvent investir n’importe quel objet. Le caractère à la fois pénétrant et absorbant de ces métaphores nous ramènent à l’androgynie de El et à son désir hermaphrodite, sans doute, pansexuel, comme Miley Cyrus :). Mais là, c’est un peu lacanien…
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- Sensation fractale: El mange un hamburger
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- Sur son T-Shirt, un hamburger surmonté du drapeau US
Si le monde upside-down est d’abord en elle, il est logique qu’El n’y pénètre jamais. Elle est en contact avec lui, mais sur un plan totalement noir, mentalement, contrairement aux autres personnages qui y pénètrent réellement, physiquement. Le monde upside-down est le reflet en négatif de notre monde. Ce pourrait bien être le paysage intérieur d’un enfant abusé.
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- Nancy dans le monde upsidedown
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- El, face à Barb, mais sur un fond noir
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- Hopper et Joyce dans le monde upsidedown, sous les flocons
La neige tombe devant chez Mike, à Noël
On retrouve les flocons du monde upside-down (des petits et des grands) sur la robe
d’hôpital qu’elle porte en s’échappant du centre, ce qui suggère encore qu’il est en elle (ou qu’elle est en lui, ce qui ne serait pas contradictoire, puisque la métaphore est androgyne et fractale). A la fin, la neige qui tombe montre que le monde upside-down est en train d’envahir la réalité. C’est noël, mais on a vu une crucifixion de démogorgone il y a un mois et donc quel christ attend-on sinon l’antéchrist (et la prochaine saison)?
Les nerds et le sang
On a vu (post 3.1) que El, en tant que surper-nerd et super-victime, appelle presque logiquement le harcèlement des garçons. Plus tard le désir et/ou le rejet qu’elle suscite génèrent des jalousies et des conflits violents entre eux. Elle révèle ainsi la nature secrète du nerd. Il est faible, mais sa volonté de puissance est infinie. S’il devient fort, il risque de tomber dans les mêmes travers que ceux qui l’embêtent dans la cour. Le nerd sera aussi un bourreau. La démogorgone est attirée par le sang.
Dans l’épisode 5, le conflit autour de El atteint son paroxysme avec la bagarre entre Lukas et Mike. A la suite, elle s’enfuit et se retrouve devant une rivière où elle regarde son reflet comme Narcisse. Elle pousse un hurlement qui secoue le monde. A-t-elle vu la Démogorgone? Plus tard, après avoir cassé le bras de Troy (le harceleur), elle pleure et avoue qu’elle est un monstre.
Ce Narcisse effrayé nous ramène au post 2, à la coolitude et à la sexualité. La Démogorgone est attirée par le sang, mais aussi par le sexe. Elle a absorbé Barbara pendant que Nancy faisait l’amour avec Steve pour la première fois. Je vous ai montré dans le post 2 comment y percevoir le sacrifice rituel de son nerd intérieur. Plus tard, à la fin de l’épisode 5, Nancy et Jonathan explorent les bois à la recherche de Will et du monde inversé. Le désir et la tension sexuelle sont évidents, puisque Jonhatan apparaît comme le rival (nerd) de Steve (cool). Nancy pénètre dans le monde inversé et elle est confrontée à la Démogorgone. Jonathan se trouve alors exactement à la place qu’occupe le monstre de l’autre côté, face à Nancy. Le sexe et le sang, Eros et Thanatos, les deux pôle du désir, du ça, selon Freud et ses successeurs.
Moralité: le monstre gentil (E.T., double pastichesque de El), symbole de la déculpabilisation du désir est une image trompeuse, comme l’image du gentil nerd. Si l’on libère son désir, sa volonté de puissance, il va forcément donner des monstres effrayants comme Tom Cruise, la Démogorgone, Bill Gates ou Ray Kuzweil. Et ceci d’autant plus que cette libération est une manipulation et un abus (dans la série, en tout cas).
Pourquoi la Démogorgone s’en prend aux Nerds?
La revanche des nerds, film prophétique de 1984
Les nerds, devenus cool et forts de nos jours, sont méchants avec les faibles et les ringards. La démogorgone préfigure cette nouvelle donne. Elle est une partie du nerd qui agresse l’autre partie. C’est sa volonté de puissance qui attaque sa faiblesse. Le nerd triomphant du XXIème siècle écrase le nerd pathétique des années 80.
Les nerds promeuvent en effet aujourd’hui la dictature de la popularité qui les oppressait dans les années 80. Apple, google, Facebook, twitter et tout le reste, permettent une starification micro-moléculaire de tout un chacun, sous tous les angles, humeurs et attitudes. Et dans ce monde, les ex-nerds ne rechignent pas, bien au contraire, à collaborer avec « the bad men », les structures d’Etat qui manipulent la population dans la série.
Et revoilà Brenner/Leary, notre Deus ex machina, marketteur, agent secret, contrôleur de l’esprit dont l’action s’inscrit sur le long terme. El a accompli sa mission secrète et le monde upside -down a envahi la réalité. Le marketing et la société de l’information ont transformé l’utopie du désir de la contre-culture en injonction totalitaire. Celle-ci se diffuse selon les procédés habituels de mimétisme dans l’ère médiatique.
Et si la morale classique (répressive) est inversée (upsidedown!), c’est celui qui ne jouit pas qui sera puni.
Morale inversée, Monde Upside-Down
Laura Palmer, Twin Peaks
Dans Twin Peaks comme dans Stranger Things qui s’en inspire, on a un portail vers une autre dimension, caché dans les bois, qui laisse sortir des monstres qui enlèvent les enfants et les adolescents. Le bord de la carrière où l’on retrouve le faux cadavre de Mike ressemble à s’y méprendre aux bords du lac où gît Laura Palmer assassinée. Mais dans Twin Peaks, ce ne sont pas les nerds, mais les cools qui sont absorbés dans l’abysse: Laura Palmer et sa copine sont deux filles qui vivent leur sexualité de manière très décomplexée.
Assassiner les débauchés, c’est effectivement un principe cardinal de tous les films d’horreur des années 80. Comme si le monstre y assumait la fonction répressive de la vieille morale chrétienne, bourgeoise ou même psychanalytique (pour Freud ou Bruno Bettelheim son disciple, le monstre représente le danger du désir et de la sexualité non maîtrisés).
Le contre-pied de Stranger Things est bien un clin d’oeil à notre époque. Aujourd’hui, la morale de l’accomplissement de soi et l’injonction à jouir ont bel et bien supplanté cette vieille morale moraliste. Est-il nécessaire d’expliquer combien cette nouvelle morale est énervante, artificielle et pathogène? Oui, le monde upside-down a envahi le monde.
El touche la démogorgone. On pense bien sûr au doigt de E.T.
Ce qui aurait pu se passer autrement, si…
Si Brenner/Leary n’avait pas poussé El, trop jeune, à toucher son désir, celui-ci ne serait jamais devenu un monstre. Et le portail vers le monde upsidedown, no-man’s land intérieur de El, n’aurait pas été ouvert. Le désir serait resté innocent, avant d’être exploré bien plus tard, à un âge où il peut être investi sans danger. Et finalement, le monde upsidedown ne nous aurait pas envahis.
Brenner a mis le doigt sur El, avant qu’elle ne mette le sien sur la démogorgon
Voilà donc la grande question que pose Stranger Things: Sans la CIA, sans Timothy Leary, aurions nous vécu autrement? Alors, la remarque de Monsieur Clarke prend toute sa saveur, lorsqu’il explique l’hypothèse du multivers aux enfants lors du (faux) enterrement de Will:
« Il existe un autre univers où cette tragédie n’a pas eu eu lieu. »
Le doigt est très important pour El et E.T.. Il est le vecteur d’un acte de transmission
et sans doute de création: Ici La Création d’Adam (Michelange), que l’affiche de E.T. pastiche. EL est le Dieu et le messie des nerds qui leur montre la voie
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